L’intelligence humaine n’est pas (seulement) un algorithme.- Olivier Houdé

Ce livre est la suite en quelque sorte du livre Système1/Système2 de Daniel Kahneman dont je vous ai parlé dans ce blog. L’auteur, ancien instituteur et psychologue expérimental, part des travaux de Jean Piaget sur le développement des algorithmes logiques de l’enfant et de ceux de l’économiste/psychologue Kahneman sur l’opposition entre intuition et analyse logique. L’intuition est souvent exacte, mais pas toujours , elle est rapide et demande peu d’énergie ( idéal pour la nature fainéante humaine qui minimise l’énergie consommée) : l’analyse logique est plus fiable mais demande de l’énergie. A partir de travaux d’imagerie ( IRM essentiellement) sur les enfants , il développe la théorie que l’intelligence réside dans la fonction d’arbitrage entre intuition et analyse logique. Un exemple d’erreurs enfantines basées sur l’intuition : » Je les manges », car après « les  » on met un « s ».Il y a beaucoup d’autres exemples comme les biais dont nous sommes victimes en tant qu’adultes. La question qui vient : comment se fait cet arbitrage? : c’est la fonction d’inhibition , qui inhibe l’intuition quand cela est nécéssaire pour faire à l’analyse logique. Cette inhibition, c’est aussi l’attention, l’écoute, les fonctions exécutives.Il montre également que l’émotion est clé dans cet arbitrage, ce qui est rassurant à l’époque des chatgpt et autres chatbots.La question suivante est : comment améliorer cet arbitrage? Je vous laisse lire le livre qui donne quelques pistes. Mais c’est le livre suivant L’Ecole du cerveau, qui reprend toute l’histoire de la pédagogie depuis Rousseau jusqu’aux récents travaux d’imagerie en passant par Montessori, Freinet et Piaget qui donne des éléments de réponses. Vous avez compris que c’est à lire.

Pourquoi m’y suis-je intéressé:Prendre conscience de ses propres biais comportementaux est utile mais loin d’être facile.On regroupe tout cela dans nos pratiques sous le nom de facteurs humains.C’est un sujet particulièrement utile pour la pratique de la montagne hivernale et les risques liés aux avalanches.

La puissance de la Joie – Frederic Lenoir

Frederic Lenoir est un remarquable vulgarisateur, en particulier pour la philosophie. Et c’est bien utile, car la Joie évoque Spinoza, philosophie illisible pour qui n’a pas son permis de philosopher.. Pour Spinoza, la joie correspond à l’augmentation de notre puissance vitale. L’éthique consiste à s’appuyer sur notre puissance vitale , nos affects, notre désir en les éclairant par le discernement de la raison.A l’opposé, la tristesse, qui vient d’une passion et d’une cause extérieure contribue à diminuer cette puissance vitale.Avoir développé ces idées en milieu de 17ème siècle aux antipodes d’une morale du devoir est assez stupéfiant.Lenoir balaye les autres philosophes ayant traité le sujet, et ce petit livre de 100 pages inspirant fait beaucoup de bien.

Rosa Candida – Audur Ava Olafsdottir

Un roman islandais qui met en scène un jeune homme adulte qui devient père , l’espace d’une nuit et quitte l’Islande pour exercer ses talents de jardinier dans un monastère d’un pays…que l’on soupçonne être l’Italie. Il a une relation proche avec son vieux père qui l’appelle régulièrement. Mais cette tranquillité sera perturbée par l’arrivée de la maman qui souhaite lui confier sa petite fille pendant un mois pour finaliser son mastère.S’en suivra l’expérience de la paternité très concrète et aussi de l’expérience de ce qu’est un couple . C’est un roman nordique, donc c’est surprenant au début , très calme , reposant puis prenant.

La douceur de l’eau – Nathan Harris

Ce roman nous plonge dans un Etat du Sud américain, juste à la fin de la guerre de Sécession.2 esclaves affranchis, frères ont quitté leur plantation et se sont réfugiés dans une forêt voisine.Découverts par le planteur voisin perdu dans la forêt , Georges et sa femme Isabelle, deux personnages profondément bons proposeront de les héberger contre du travail rémunéré .Mais la société de la petite ville voisine, raciste n’accepte pas cette situation et il y aura des drames.Même la présence de l’armée nordiste ne pourra rendre justice de ces drames.

Tout au long du livre, l’auteur nous entraine dans l’errance de ces personnages, survivants, et la difficulté à trouver leur voie.En contrepoint, le livre évoque l’histoire de ce vieux couple de fermiers blancs, qui communiquent et peu et de leur fils revenu survivant de la guerre de Sécession .Premier livre de l’auteur, la psychologie et les pensées des personnages sont développées dans une écriture claire et dans un monde rural à la fois étriqué et entouré de nature.De nombreux autres thèmes sont éffleurés par l’auteur donnant à ce livre de la richesse et de la densité et nous donne le loisir d’imagination. J’ai beaucoup aimé donc.

Le Train des Enfants- Viola Ardone

Amerigo Speranza , jeune gamin napolitain de 7 ans, issue d’une famille pauvre, prend le train des enfants pour gagner une famille du nord de l’Italie pour une année. Il fait partie d’une opération conduite par le parti communiste en 1946 pour arracher à la misère des centaines d’enfants. Le roman est écrit à hauteur d’enfant, avec tout ce que peut ressentir un enfant de cette séparation et de la découverte d’un monde nouveau , plutôt bienveillant.Le retour vers sa mère est très difficile et on mesure vers quelle violence peut conduire l’extrême pauvreté. 50 ans après, le narrateur revient revisiter ses lieux d’enfance, c’est la partie du roman qui mra moins intéressé. Un livre qui se lit avec intérêt , mais il manque un peu de richesse dans les thèmes traités ou non traités pour en faire un grand livre.

Le mage du Kremlin – Giuliano Empoli

Un roman à partir de faits réels contés par le spin doctor de Poutine,Vadim Baranov dans le roman: cela commence par la fin de règne de Boris Eltsine, un Moscou qui s’occidentalise à grande vitesse, les oligarques qui s’enrichissent..

Un paragraphe évoque l’époque« Vous pouviez sortir de la maison un après-midi pour aller acheter des cigarettes, rencontrer par hasard un ami surexcité pour je ne sais quelle raison et vous réveiller deux jours plus tard, dans un chalet à Courchevel, à moitié nu, entouré de beautés endormies, sans avoir la moindre idée de comment vous étiez arrivé là. Ou bien, vous vous rendiez à une fête privée dans un club de strip-tease, vous commenciez à parler avec un inconnu, gonflé de vodka jusqu’aux oreilles, et le lendemain vous vous retrouviez propulsé à la tête d’une campagne de communication de plusieurs millions de roubles. »

Un oligarque pousse Poutine, obscur fonctionnaire, vers le poste de premier ministre: on connait la suite, faite d’emprisonnements de ses opposants, chaque enfermement faisant monter sa popularité, son obsession de la grande Russie et de sa décadence, le sentiment de mépris des Occidentaux ( le fameux fou rire de Clinton sur le dos d’Eltsine). Cet oligarque déchu finira sur la Côte d’Azur… A travers son conseiller , on voyage au coeur du pouvoir tout au long de l’histoire récente de la Russie: la guerre en Tchetchénie, les Jeux de Sotchie, la début de la guerre d’Ukraine, les attentats de Moscou.Je finis par un extrait sur le nouveau Tsar

« Comme Dieu, le Tsar peut être objet d’enthousiasme, mais sans s’enthousiasmer lui-même, sa nature est nécessairement indifférente. Son visage a déjà acquis la pâleur marmoréenne de l’immortalité. A ce niveau, nous sommes bien au-delà de l’aspiration aux belles funérailles dont je vous parlais. L’idéal du Tsar serait plutôt un cimetière dans lequel il se découpe seul, vertical, unique survivant de tous ses ennemis et même de ses amis, de ses parents et de ses enfants. de tous les êtres vivants.(…) le seul trône qui lui apportera la paix est la mort. »

Rivolusi – David Van Reybrouck

David Van Reybrouck est historien, écrivain mais aussi militant de la démocratie et de l’environnement. Il écrit là une histoire de colonisation et de décolonisation peu connue du 3ème pays européen colonisateur : les Pays Bas. Cela a commencé avec une économie de comptoirs dans les Moluques , pour rapporter les épices , le poivre surtout, puis avec le déclin relatif des épices,les Hollandais ont effectué une colonisation terrestre au XIXème siècle de l’Indonésie avec les plantations ( hévéas, palmier à huile), avec des colons ,mais sans en faire une colonisation de peuplement. L’auteur évoque ensuite l’enchaînement de la 2ème guerre mondiale, côté Pacifique avec un Japon , gourmand en matières premières, une Amérique mettant l’embargo et ensuite l’attaque japonaise. Sur le plan des hommes et de l’émergence d’un sentiment national indonésien , les 4 factions sont décrites: islam, communiste, nationaliste et aussi régionaliste pour l’est de l’archipel. 
Les mécanismes entre 1945 et 1949 du chemin vers l’indépendance , la première d’un pays colonisé, sont mis en évidence ( rôle majeur des USA dans l’indépendance de l’Indonésie) avec un lot de massacres , surtout néerlandais,pages difficiles à lire.Le point de vue indonésien avec les 4 principaux leaders, leurs forces et faiblesses humaines est bien détaillé.Apprendre sur la conférence de Bandung en 1955 et son influence est particulièrement intéressant.La grande originalité du livre est d’être à la fois un livre d’histoire classique très documenté, mais aussi des témoignages souvent poignants de personnes ayant vécu ces années 40 et 50. Cela donne une humanité au récit.

La seule réserve que je ferais concerne certaines hypothèses attrayantes de l’auteur,qui mériteraient d’être plus étayées : la transition de la politique américaine d’un anticolonialisme dans lees années 50 vers un impérialisme après Bandung, surtout Bandung qui serait pour beaucoup à l’origine de l’Europe en 1958. Un autre point peu développé concerne la société néerlandaise et les lobbys économiques. Un très grand livre à lire qui apporte une vision non européo centrée de l’histoire mondiale pour le 4ème pays le plus peuplé ,de la planète.

Darwyne – Colin Niel

Le dernier Colin Niel se déroule à nouveau en Guyane. Ce roman noir met en scène Darwyne, un enfant de 10 ans, très étrange et infirme de ses pieds, avec une relation à la fois d’amour et de soumission avec sa mère Yolanda. Ils vivent dans un carbet, maison de bric et de broc, en lisière de forêt amazonienne, avec le énième beau-père, amant de sa mère. L’enfant ne se sent bien qu’au coeur de la forêt, où avec appeaux, ils approchent les animaux sauvages.La femme de la protection de l’enfance , qui le suit,cherche à évaluer si un placement est nécessaire. Auparavant naturaliste, elle va devenir fascinée par sa connaissance de la nature. L’histoire est très bien menée avec un final mystérieux et j’ai beaucoup apprécié les scènes dans la forêt vierge. Colin Niel ne décoit pas. Darwyne est le héros du livre, mais certainement avec la forêt équatoriale. Je recommande chaudement, ainsi que tous ses livres antérieurs

La dernière colonie – Philippe Sands

En cours de lecture. L’avocat international, après Retour à Lemberg et relate une cause qu’il a défendue: les Iles Chagos et les Chagossiens. Dans l’archipel des Chagos, au milieu de l’océan indien, colonie britannique dépendant de l’Ile Maurice , le Royaume-Uni concède une des iles , Diego Garcia, aux Etats-Unis comme base militaire et surtout évacue tous les habitants de l’archipel contre leur gré, et en particulier la chagossiènne Liseby Elysé qui se bat contre cette injustice. Le livre relate aussi bien le vécu de Liseby que les tentatives de recours auprès des différentes cours internationales, où la personnalité de chaque juge compte, bien analogue aux enjeux en cours dans la Cour Suprème des Etats-Unis.

Plier bagage- Daniel Saldana Paris

Le narrateur, jeune habitant de Mexico, voit sa mère Teresa disparaître après lui avoir offert un livre sur les Origami.Ne connaissant la raison de ce départ, il reste avec sa soeur ainée, Mariana, lointaine absorbée par ses copains , et son père , passionné de foot et plutôt introverti.Nous suivons ses recherches hasardeuses et progressivement il découvrira les raisons et les circonstances , sans les élucider complètement. Le roman est mélancolique , avec une écriture simple , à hauteur d’enfant.